On est minots et on se jure à la vie à la mort qu'on ne fumera jamais, parce-que ça tue. Qu'on n'aura pas de voiture, parce-que ça pollue. Qu'on fera jamais l'amour, parce-que bah, c'est dégueulasse. Qu'on ne boira jamais d'alcool, même si on adore tremper son doigt dans le champagne. Qu'on gardera toujours les mêmes copines à la maternelle, au primaire, au collège et au lycée. Qu'on ne quittera jamais son premier amoureux. Qu'on n'oubliera jamais la première fois où on a appris à lire, à faire du vélo sans les roulettes. On confond Patrick Poivre d'Arvor et Jacque Chirac, on dit que Jospin est de droite, mais on sait pas trop c'que c'est. On rêve d'être Mulan et on renie la Belle au Bois Dormant. On se jure qu'on ne se coupera jamais les cheveux très courts, parce-qu'on est pas un garçon. On écoute les L5 et on voudrait être Lydie, parce-qu'on aime pas Marjorie. On comprend pas les paroles. On est amoureuse de Superman, mais on admire Lois Lane. On prend les garçons pour des "débiles mentaux" quand il rigolent d'un caca prout, mais on sourit doucement en se cachant dans son écharpe.
Plus tard, on déménage. On aurait pas imaginé que son père et sa mère ne s'aiment plus un jour. On accepte l'arrivée d'un frère malgré sept ans sans réelle notion de fratrie. On apprend à vivre avec des nouveaux pères, de nouvelles mères. Des faux, tous des faux. Parfois on se surprend à les aimer, parfois on les pleure, parfois on les hait. Les copines changent, les ami(e)s aussi. On goute au champagne par gorgées mais on préfère la manzana. On vomit. On oublie les années collèges, on renie certains moments de la période lycée quand on rêvait de tout arrêter. On débat sur la justice, on lit autre chose qu'Harry Potter, on découvre Harper Lee, Steinbeck et Kundera. On aime Truman Capote et on bénit le condom. On fume trop, mais on est jeune. On se fait des promesses qu'on ne tient jamais, on remet tout en question. On décide d'être technicien, puis on se rend compte qu'on aime s'ouvrir à autre chose que des machines. On projette une coloc' à Lyon, parce-qu'on refuse Lille, Rennes, Strasbourg ou Bordeaux, que Marseille c'est trop au Sud, que Montpellier c'est trop connu, que Toulouse c'est l'enfance mais qu'il n'y a pas ce que l'on veut. On apprend à vivre seul. On apprend à rencontrer, à cultiver les graines de notre désuet jardin intellectuel. On oublie Kate Nash, on bade Ox, on fait le ménage avec 8°6 Crew. On découvre les grandes femmes comme Louise Michel, on crache sur Le manifeste de la femme futuriste, on lit Simone de Beauvoir et on prend du recul. Sur les choses que l'on voit, sur les lectures que l'on fait. On va au cinéma. On s'amuse à cinq sur des vieux tubes pendant nos soirées disco-bourges. On se laisse faire, on regarde les garçons faire à manger à vous exploser les papilles. Et puis, évidemment, il y a Tout Le Monde Veut Prendre Sa Place, et ça, ça n'a pas de prix, hormis celui d'une connexion internet. On se remet en question, on passe son permis. On a plus peur, on est des grands.